Germaine revient dans le salon, portant un plateau ébréché décoré de chatons, chargé de tasses, de biscuits et autres accessoires dont il serait impensable de se séparer pour l'heure du thé.

"Voilà, voilà ! De quoi se nourir en bavardant... C'est bien pour ça que vous êtes-là non ? Vous n'êtes pas venu me vendre un nouvel aspirateur ? Vous voulez assurer ma perruque contre les grands coups de tempête ? Ou peut-être le chat contre les voitures ? Dit-elle suspicieuse. Oh mais non, quelqu'un de si jeune ne ferait pas ça... Voyons, combien de sucre dans votre thé ?"

Pour vous, un sucre suffira, non ? Et pas de lait ça donne mal au ventre...

Germaine s'affaire, agitant les bras, se relevant trois fois de son fauteuil pour vérifier que la porte est bien fermée. Oui, les courants d'airs c'est une calamité !
A présent, vous êtes bien installés, et Germaine va pouvoir parler un peu.

"Mon âge ? Ah mais c'est bien une question de jeune ça ! Vous savez au bout d'un certain temps, compter les bougies ça ne correspond plus à grand chose mon petit. L'enfance, l'adolescence, l'âge adulte, et puis le troisième âge ! Le troisième ? J'en comptais quatre moi... Enfin passons. J'ai comment dire, un certain âge, pour ne pas dire un âge certain." Ajoute-t-elle en touillant son thé avec la précision d'une aiguille à tricoter dans le noir.

"Oh vous savez, ma retraite est paisible, je lis, je fais mon ménage et je vais au marché. On en lit, on en voit de ces choses dans les magazines de nos jours ! Tenez, on sait tout sur la vie privée de tout le monde par exemple ! Plus personne n'est à l'abris, non, non ! Les midinettes qui se prélassent sur leurs plages privées, les pauvres bougres qui se grattent le postérieur entre deux dîners mondains ! Moi je me demande où est leur dignité à tous ces gens ! Tout de même, poser pour un photographe avec l'arrière train qui démange ! Mais il paraît que c'est vendeur... Ils feraient vraiment n'importe quoi pour l'argent ces gens là, ils sont tous pourris par leurs dollars !" S'exclame-t-elle, avant de faire une petite pause pour goûter son thé qui s'est déjà vidé de moitiée sur le tapis du salon.

"Enfin l'argent, ça aussi c'est un problème... Vous savez, leur monnaie unique ! L'Euro ! Grogne-t-elle avec mépris, et dessinant du bout du doigt le symbole désormais connu de ladite monnaie. Ah ça si ce n'est pas une monnaie pour lilipuciens, non mais regardez moi la taille de leurs pièces ! Je passe mes journées à courir après sous les meubles et entre les lattes du plancher. Enfin, quand le chat ne les a pas avalées avant, hein espèce de vieux greffier !" Dit-elle, se retournant vers le coin de la pièce à la recherche du matou.

"Où es-tu encore allé te fourrer boule de poils ? Oh... J'espère qu'il n'est pas retourné faire sa tournée des poubelles. J'ai eu les voisins sur le dos toute une semaine comme ça déjà ! Et votre chat est un sac à puce, il mériterait d'être piqué ! Il a refilé la grippe à notre fille ! Je vous en donnerais moi des maladies, quand ça passe ses dimanches à ronfler devant la télé pendant que la pauvre gamine gratte au carreau de la fenêtre dans l'espoir de sortir jouer !" Rouspette-t-elle, rassise dans son fauteuil, une petite lueur brillant au fond de l'oeil.

Hochons la tête, ça la rassurera. Oui Germaine, ces gens ne savent plus ce qui est bon pour eux et pour leur entourage. Pour ce qui est du chat, il ne doit pas être loin, sans doute entrain de faire la sieste. D'ailleurs, comment il s'appelle votre chat, Germaine ?

Pendant que Germaine est aux fourneaux, le salon semble prendre une pause, un répis bien mérité. Une vraie tempête cette dame là. Les fauteuils sont usés, la table à manger bancale, les tapis rongés de trous et de vieux journeaux s'entassent le long des murs... Allez, un coup d'oeil ça ne coûte rien...

Voyons, voyons... Les titres datent de 20ans, 30ans en arrière, et sont à peine lisibles par endroits. Un charmant séjour pour souris en somme. Elle ne doit pas les consulter tous les jours, sinon elle se serait déjà faite ensevelir sous l'une des piles qui oscille dangereusement et flirt avec le plafond.

Vous distinguez dans un coin de la pièce, une paire de mouffles qui traînait par terre. Ah non, ça ce sont les charentaises de madame ! Près d'elles vous reconnaissez en effet le coussin du chat, qui donne à penser qu'un bérêt en quête d'aventure s'est ennamouré d'un cochon d'inde peu farouche...

Là, tout n'est que désordre et beauté,
Luxe, poils et volupté.

Retournons nous assoir, la voilà qui revient.

Germaine prend un siège et s'assied lourdement, faisant grincer la chaise et craquer ses vieux os. Elle vous fixe de son regard pénétrant.

"Alors la nouvelle était vraie, j'ai des visiteurs ! Bon d'là ! Va falloir que je prépare des gâteaux et du thé !"
Dit-elle, l'air ennuyée.

"Une minute, une minute, je vous prépare ça et on reprendra notre conversation..."

La vieille se lève et va dans une autre pièce, sans doute la cuisine vu les bruits de casseroles entrechoquées qui s'en échappent. Ne bougez pas, mettez vous à l'aise, il y a même des charentaises à votre disposition dans le coin, près du coussin du chat.